Je n’ai pas encore lu La légende du saint buveur de Joseph Roth mais j’avais vu le film en 1988 (lion d’or au festival de Venise). En 2008, j’ai revu le film et j’ai finalement bu quelques pages du l’ivre (s’hic).
Andreas, un ancien mineur de Silésie, vit exilé à Paris où il est devenu clochard. Andreas dort sous les ponts et passe ses journées à boire « des breuvages bon marché » au restaurant russo-arménien Tari-Bari rue des quatre-vents, dépensant les « rares pièces que lui accorde quotidiennement le destin ». Un jour il rencontre un homme étrange « d’un certain âge et à la mise soignée » qui lui fait une curieuse proposition : « Je vous prie de me rendre un service inhabituel. C’est Dieu qui vous envoie sur mon chemin. Je suis sûr que vous avez besoin d’agent. Ne prenez pas ça mal ! J’en ai de trop. … C’est deux cents francs qu’il vous faut. » Andreas ne veut pas accepter : « Je suis un homme d’honneur. Cet argent que vous m’offrez, je ne saurai ni quand ni comment vous le rendre ». L’homme distingué lui explique alors : « Pour ce qui est du remboursement, si tant est que vous soyez redevable à quelqu’un, c’est à la petite sainte Thérèse de Lisieux. Sachez que je suis devenu chrétien après avoir lu son histoire et depuis je vénère tout particulièrement la petite statue de la sainte qui se trouve à la chapelle Sainte-Marie-des-Batignolles. Si un jour votre conscience vous force à vous acquittez de ces deux cents francs, allez, je vous prie, à Sainte-Marie-des-Batignolles et remettez l’argent à l’homme qui aura dit la messe. Mais n’oubliez pas : à Sainte-Marie-des-Batignolles ». Et l’homme disparaît.
Le lendemain, après avoir copieusement arrosé cette rencontre miraculeuse, Andreas se demande s’il n’a pas rêvé. Mais non, ce qui reste des deux cents francs est bien à sa place dans la poche intérieure gauche de sa veste avec le papier sur lequel il a noté au crayon l’adresse de la petite sainte Thérèse. Car Andreas est un homme d’honneur, bien décidé à s’acquitter de sa dette. Ces deux cents francs miraculeux vont lui permettre de se remettre à flots, lui qui, à force de tituber, ivre, sur les quais de la seine, aurait sans doute fini par s’y noyer. Mais, malgré toutes ses bonnes intentions, une série de rencontres imprévues et tout aussi improbables va l’empêcher d’atteindre l’église des Batignolles. Andreas retrouve une femme qu’il a aimé autrefois, un ancien camarade de classe devenu un footballeur connu, une jeune danseuse, un ancien compagnon de labeur. Autant d’occasions et de tentations pour laisser la faiblesse de sa nature l’emporter sur ses fermes résolutions et faire la bringue, boire encore et toujours et profiter de la vie jusqu’à la dernière goute. Mais son cœur est pur et Andreas finira – d’une certaine manière - par se rendre à la chapelle des Batignolles et par y rendre, par la même occasion, à bout de forces, son dernier souffle. « Que Dieu nous accorde à nous tous, à nous autres buveurs, une mort aussi douce et aussi belle ! ».
« Le 30 janvier 1933, jour de la prise de pouvoir d’Hitler, Joseph Roth s’exile à Paris. La montée du nazisme, la folie et l’internement de sa femme Friedl, ont pour lui des conséquences dramatiques : ébranlement moral, sentiment de culpabilité, alcoolisme qui s’apparente de plus en plus à un lent suicide ». Joseph Roth achève ce récit quelques semaines avant de mourir à l’hôpital Necker le 23 mai 1939.
C’est un récit émouvant sur la tentation, l’inclinaison et l’attraction parfois fatale. Mais c’est aussi un récit sur le courage, l’honneur, la rédemption et l’espoir d’une providence bienveillante.